Tablettes : un marché qui s’essouffle…pour mieux rebondir ?

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Alors que la croissance des ventes de tablettes s’est ralentie ces derniers mois, certains constructeurs mise sur un rebond en segmentant bien plus le marché avec des produits dédiés à des usages précis. La clef pour pérenniser un marché encore très jeune.

Après plusieurs années de croissance à 2 voire 3 chiffres en pourcentage, le marché des tablettes a vu celle-ci fortement ralentir ces derniers mois, se contentant d’une augmentation minime, quand bien même les volumes écoulés restent considérables. D’après les chiffres du cabinet Gartner, ce sont près de 195 millions de tablettes qui se sont écoulés en 2013 tout autour du globe. Et si la croissance se ralentit, les volumes écoulés restent conséquents. Ainsi selon ABI Research, il se serait vendu 41,3 millions de tablettes au premier trimestre 2014, Apple et Samsung phagocytant une grande partie de ce total avec 71 % de part de marché à eux deux. A noter que ces ventes surpassent désormais celles séparées des PC portables et des desktops, et devraient approcher leur total combiné cette année avant de le dépasser en 2015, d’après Gartner. Mais la croissance du marché s’essouffle,  IDC annonçant pour le premier trimestre de 2014 une croissance de  « seulement » 3,9 % par rapport à la même période l’an dernier. Alors pourquoi un tel ralentissement ? Plusieurs facteurs concourent à ce phénomène.

Un taux d’adoption extrêmement rapide

D’une part, le taux d’adoption dans les foyers a été extrêmement rapide. S’il a fallu entre 15 et 20 ans pour voir les ordinateurs personnels devenir un bien de consommation quasiment incontournable en occident, les tablettes sont en train de s’imposer bien plus rapidement. Si bien qu’à la fin 2013, plus d’un foyer français sur 5 en possédait au moins une, un chiffre qui devrait grimper à 35 % environ à la fin 2014 et autours de 50 % à l’horizon 2018 (prévisions eMarketer réalisées en mai 2014). Et ce constat est aussi vrai pour le Royaume-Uni (34,5% aujourd’hui, 57,8 % en 2018), l’Allemagne (24,9% en 2013, 47,6% en 2018) ou encore les USA (36 % de foyers équipés en 2013 selon l’étude Deloitte Observatoire des usages et interactions télécom & medias, édition 2013). On reste loin des 77 % de foyers hexagonaux possédant au moins un ordinateur mais on s’en rapproche très vite. D’où une certaine saturation sur les marchés occidentaux (on ne rachète pas une tablette tous les 6 mois, à fortiori si on en possède déjà plusieurs), pour le moment non compensée par les ventes réalisées dans les pays émergents.

Autre problème rencontré par les constructeurs et vendeurs actuellement, des expériences utilisateurs pas toujours convaincantes. Ainsi la multiplication des tablettes low-cost, en marque blanche ou provenant de constructeurs plus établis, n’a pas forcément aidé à un renouvellement rapide du parc déjà installé, voire à une volonté de se suréquiper pour certains. Qui n’a jamais entendu un « ça rame », « ça marche pas, ton jeu » ou encore « je la trouve pas dans mon store ton appli » venant d’un ami, membre de la famille ou encore collègue ayant opté pour un modèle low cost acheté moins de 100 euros en grande distribution ou sur le net.  De la même façon, la multiplication de références quasiment similaires (car provenant des mêmes chaines de montage ou partageant le même référence-design) n’aide pas le consommateur lambda à affiner sa recherche de produit, en fonction de ses besoins, par ailleurs pas toujours bien identifiés.

D’autre part, l’absence de réelles nouveautés technologiques n’est pas non plus une alliée des vendeurs de tablettes, surtout dans les pays développées. Ainsi, chez les leaders du marché que sont Apple et Samsung, on se contente depuis plusieurs mois uniquement de refresh lors du lancement de nouveaux produits. Des puces plus véloces, des tailles d’écrans qui augmentent ou diminuent, à la limite la démocratisation des connectivités 3G/LTE sur des modèles bon marché, ça ne suffit pas à faire rêver le consommateur lambda, et donc à le faire (à nouveau pour certains) passer à la caisse. La segmentation par spécifications techniques et gammes de prix opérée par Apple et Samsung en tête, mais aussi par Acer, Lenovo ou encore Sony et d’autres, n’est pas une fin en soi et peut fournir un début d’explication à une certaine forme de manque d’engouement pour les nouveautés. De la même façon, malgré la constitution de l’écosystème Android par Google et ses partenaires, nombres d’applications dédiées à des usages spécifiques et intégrées d’usine par des constructeurs sur leurs appareils restent tributaires du choix de produits de la même marque que sa tablette pour fonctionner correctement. Bien sûr, il existe des « bidouilles » pour optimiser le fonctionnement de ces applications avec des produits de marques concurrentes, mais tous les acheteurs de tablettes ne sont pas des « power-users » (loin de là) et on s’éloigne de la promesse originelle du concept de tablette tactile qui était de simplifier l’usage de l’informatique au quotidien. Enfin, dernière explication à la marge du ralentissement de la croissance est l’émergence en 2013 des phablettes, mais celles-ci devraient aussi impacter les ventes de smartphones « normaux », or il n’en est rien.

Le retour de l’effet « Wow ! »

Alors comment redonner un second souffle durable au marché des tablettes  et retrouver une croissance plus solide à moyen terme ? Tout d’abord en accentuant les efforts en recherche et développement afin de recréer de véritables disruptions technologiques, justifiant souvent à elles seules une motivation d’achat et/ou de renouvellement de matériel. Un produit high-tech, pour bien se vendre, se doit de faire rêver ses clients potentiels. Un levier parfaitement assimilé par feu Steve Jobs, qui outre un art plus que maîtrisé du marketing, n’a jamais hésité à lancer (et parfois suivre) de nouveaux concepts de produits, quitte à se planter dans les grandes largeurs.  Or le remplacement d’un processeur dual-core par un quad-core, la sortie d’une nouvelle révision d’un OS ou encore l’augmentation de la résolution d’un écran, ça ne titille que quelques geek et early-adopters, pas le grand public ou encore les gestionnaires de parc informatique en entreprise. L’adoption de nouvelles technologies d’affichage (OLED, 3D stéréoscopique sans lunette ou holographique) ou d’interface homme-machine (type Leap Motion) peut fournir des pistes pour constituer ces disruptions technologiques indispensables, mais seule l’imagination sans borne de l’être humain (et des ingénieurs des centres de R&D) saura répondre à ce besoin crucial pour redonner de la vigueur à la croissance de ce marché. C’est ainsi qu’Intel a récemment présenté à la presse spécialisée quelque uns des projets actuellement en cours dans ses labos. Des technologies comme RealSense (interface utilisateur manuelle en 3D via des webcams et des capteurs de mouvements) ou Floating Display (affichage avec une impression de profondeur via l’ajout d’un film plastique sur la surface d’un écran polarisé) vont dans le sens de ce renouveau de l’effet « Wow ! ».

Le Floating Display d'Intel soit l'écran en relief sans lunettes 3D
Le Floating Display d’Intel soit l’écran en relief sans lunettes 3D

Des technologies qui pourront servir à des applications dans le domaine médical, la modélisation d’objets en relief et leur impression sur des imprimantes 3D ou à d’autres usages à créer et développer. Mais le fondeur californien, comme bien d’autres, ne mise pas que sur des nouveautés techniques pour redynamiser le marché des tablettes (et celui des ordinateurs, qui reste son cœur de métier).

Vers plus de segmentation par usage

L’autre axe de développement c’est la segmentation du marché des tablettes par usage, afin de s’adapter à des niches ou publics spécifiques. Comme nous l’a expliqué Julien Laval, responsable des relations presse d’Intel en France, « à l’image de ce que nous avons fait pour le marché PC, nous pratiquons déjà naturellement la segmentation par usage pour les tablettes ». Et de citer les hybrides 2-en-1 destinés au marché au marché de l’éducation, équipés de capteurs d’humidité ou de PH pour faire des expériences scientifiques et permettant l’ajout de modules spécifiques comme une webcam-microscope. Ou encore le partenariat avec le français BIC pour proposer en 2013 une ardoise destinée à l’apprentissage de l’écriture manuscrite. « Il y a aussi les tablettes 20 pouces 4K Toughpad UT-MB5 et UT-MA6  de Panasonic, poursuit-il, conçues pour les professionnels de la CAO/DAO et les graphistes, et équipées de processeurs Core i5 ou i7. »

la BIC-Tab, une ardoise pour aprendre l'écriture manuscrite
la BIC Tab, une ardoise pour aprendre l’écriture manuscrite

Le groupe japonais qui propose aussi de son coté des tablettes durcies ou semi-durcies au sein de sa gamme Toughpad pour la prospection pétrolière  ou l’exploitation sur sites en milieux difficiles (grand froid, désert, atmosphère tropicale, etc.). Toujours dans le secteur de la création assistée par ordinateur, on peut aussi citer Wacom, le grand spécialiste des tablettes graphiques « à l’ancienne », qui propose aussi depuis plusieurs mois la gamme Cintiq, avec le modèle Companion sous Windows 8 et l’Hybrid sous Android Jelly Bean.

Wacom propose avec la gamme Cintiq des produits sous Windows ou Android
Wacom propose avec la gamme Cintiq des produits sous Windows ou Android

Deux tablettes de 13,3 pouces avec stylet à 2048 niveaux de pression pour les graphistes et professionnels de la CAO/DAO, la première dotée d’une puce Core i7 d’Intel et la seconde en Tegra4 de nVidia.

Le jeu, un relais de croissance naturel

NVIDIA justement qui mise aussi beaucoup sur le jeu, mettant ainsi à profit pour les appareils mobiles plus de 20 ans d’expérience dans le monde PC et une équipe d’ingénieurs pour permettre le développement de jeu avec des éditeurs spécialisés (comme le portage de Half-Life 2 sur la console portable maison, la Shield). Avec la gamme de processeurs Tegra, la firme au caméléon a permis au jeu sur tablette de franchir une étape importante en termes de fluidité et de  qualité graphique, ouvrant ainsi la possibilité aux développeurs de jeu de produire pour les tablettes des titres n’ayant rien à envier à ceux proposés sur console portables. Cela a aussi entraîné la conception de tablettes principalement orientées jeu, comme la Shield, produite par le constructeur californien, la Edge de Razer (connue anciennement sous le code projet Fiona) sous Windows 8 ou la Wikipad sous Android.

la Edge de Razer, une tablette sous Windows conçue pour les joueurs
la Edge de Razer, une tablette sous Windows conçue pour les joueurs

Un marché du jeu que lorgnent aussi des fabricants ou importateurs comme Archos avec ses GamePad 1 et 2 ou BigBen avec la Gametab-One, mais avec des spécifications moins haut de gamme (et des prix moins élevés) que les produits utilisant les puces NVIDIA. Et la société de Santa Clara ne compte pas s’arrêter là comme nous l’a confirmé Stephane Quentin, porte-parole de la firme pour la France et la Belgique : «Statistiquement un des usages principaux des tablettes reste le jeu vidéo. Toutefois, celui-ci  reste pour le moment loin des standards du jeu sur PC ou sur consoles de salon car les SOC embarqués actuellement ne disposent ni de la puissance ni de la compatibilité avec les API du monde du jeu que sont DirectX 12 et OpenGL 4.0. Le lancement de notre Tegra K1 qui uniformise l’architecture graphique Kepler venant de nos GPU va permettre le portage et le développement de jeux de qualité sur le marché des tablettes et des  appareils de jeu mobile » et il cite comme premier exemple la tablette Mipad du chinois Xiaomi équipée de cette puce. Il ajoute aussi « NVIDIA ne cherche pas à proposer des tablettes destinées à des usages basiques, un peu comme dans le monde du PC, ou l’on peut se passer d’un GPU moderne pour faire du traitement textes. Jusqu’à présent les tablettes avaient une puissance graphique et de calculs parallèles limités.  Nous allons voir débarquer de plus en plus des tablettes et des format d’appareils mobiles destinées à des usages particuliers comme nous l’avons déjà fait avec la SHIELD». Enfin, il annonce aussi la prochaine étape que pousse NVIDIA à savoir  » le jeu en mode Gamestream qui permet de jouer directement à des jeux PC (donc très lourd graphiquement) sur un périphérique mobile comme dans le futur une tablette, plus également la technologie GRID pour le jeu via des serveurs de jeu. Les technologies de cloud gaming  (GRID Gaming) associées à la 4G vont permettre de voir arriver des périphériques de jeu sous la forme de tablettes qui pourront accéder à du contenu extrêmement riche graphiquement (concrètement tous le catalogue de jeu PC)« .

Tablette pour cuisiniers QOOQ
Tablette pour cuisiniers QOOQ

Toujours coté grand public, on peut aussi citer des initiatives intéressantes comme la QooQ, du français Unowhy et médiatisée par Arnaud Montebourg et Oprah Winfrey, focalisée sur l’usage en cuisine avec un abonnement à une base de recettes culinaires. Sans parler du succès des liseuses (entre 500000 et 600000 unités vendues en France en 2013 suivant les estimations), exemple parfait d’ardoises tactiles à usage bien spécifique (la lecture et consultation de documents) mais qui ont su rencontrer un vaste public, quand bien même là aussi la croissance se ralentit fortement faute de nouveaux consommateurs à conquérir… et de la concurrence des tablettes.

En conclusion, quand bien même les années à 300 % de croissance des ventes sont probablement derrière nous, le marché des tablettes n’est pas près de s’effondrer, bien au contraire. Outre les marchés émergents où les ventes potentielles sont considérables (mais avec une énorme concurrence des smartphones et des PC), il existe aussi de nombreuses niches spécifiques à adresser dans les pays développés. Niches qui ne représenteront probablement pas les chiffres de ventes des Galaxy Tab et iPad, mais qui ajoutées les unes aux autres peuvent néanmoins constituer de gros volumes. Reste à certains constructeurs à se réinventer, à d’autres d’émerger et aux consommateurs, grand public comme pros, à faire connaitre leurs usages.

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