L’intelligence artificielle (IA) accessible à tous bouleverse profondément les méthodes d’enseignement et d’apprentissage. Pour mieux comprendre cet impact, nous avons recueilli les témoignages de quatre enseignants exerçant en collège et lycée. Leurs expériences illustrent les défis et les transformations majeures qui s’annoncent dans le système scolaire.
ChatGPT, une révolution dans les salles de classe… et un nouveau terrain de triche
Lancé en novembre 2022, ChatGPT s’est rapidement imposé auprès des élèves, surtout les plus âgés, qui y voient un moyen efficace pour alléger leur charge de travail. Sylvain, professeur de philosophie en terminale, confie : « L’IA est devenue un outil pour tricher, pour éviter l’effort réel. » Selon Estelle, professeure d’espagnol, près de 60 % des élèves de seconde utilisent régulièrement ChatGPT, et ce chiffre grimpe jusqu’à 80 % en terminale.
Cette dépendance à l’IA change la donne : « Les devoirs à la maison, c’est fini, ou presque », déplore Sylvain. Les élèves soumettent les consignes aux outils d’IA qui génèrent des réponses précises et adaptées à leurs besoins, même avec des niveaux d’écriture simplifiés à la demande. Sans dispositifs de détection, distinguer le travail humain de celui de l’IA devient quasiment impossible. Résultat : les enseignants sont contraints d’intégrer davantage de travail en classe, mais les programmes n’ont pas été conçus pour cela, rendant la tâche très difficile.
Une perte d’autonomie inquiétante chez les élèves
Pour Fanny, professeure de mathématiques, les excuses liées à l’IA se multiplient : « ‘Même ChatGPT n’a pas réussi l’exercice’, voilà ce qu’on entend maintenant quand le travail n’est pas fait. » François, jeune enseignant d’allemand, pointe lui aussi la perte progressive d’autonomie intellectuelle : « En déléguant trop à l’IA, les élèves manquent l’occasion de développer leur pensée critique. »
Face à cette situation, les professeurs multiplient les actions de prévention. Sylvain explique que la vigilance s’est renforcée : « Les sanctions pour triche sont plus sévères, et pendant les évaluations, on fait enlever les montres connectées. » Pour Estelle, le défi est aussi personnel : « Je dois me former seule, en autodidacte, pour comprendre ces outils. »
L’IA comme outil pédagogique : opportunités et limites
Si l’IA est souvent associée à la triche, certains enseignants la voient aussi comme un outil d’aide. François l’utilise régulièrement pour préparer ses cours ou générer des exercices, tout en gardant un regard critique sur les contenus proposés. Sylvain admet qu’elle peut être bénéfique pour les élèves en difficulté en fournissant des fiches de synthèse ou des reformulations.
Fanny s’appuie sur les spécificités de l’IA générative pour expliquer à ses élèves que ces outils fonctionnent à partir de données statistiques et que leurs réponses peuvent comporter des erreurs. Elle considère que cette approche favorise un regard critique indispensable.
L’impact à venir sur l’école : entre espoir et inquiétudes
Dans dix ans, que restera-t-il de l’école telle que nous la connaissons ? Les enseignants sondés sont unanimes : l’IA transformera en profondeur l’éducation, avec des conséquences ambivalentes.
Fanny craint une augmentation des inégalités : « Ceux qui ont déjà des facilités profiteront de l’IA, tandis que les autres risquent de s’illusionner sur leurs capacités réelles. » Sylvain partage ce pessimisme et redoute un « nivellement par le bas » des compétences, avec un langage uniformisé dépourvu de singularité culturelle.
Pour Estelle, les questions technologiques soulèvent aussi des interrogations sur l’avenir même de l’apprentissage des langues. François, lui, reste convaincu que le rôle de l’enseignant deviendra encore plus crucial : « Nous serons des guides, aidant les élèves à naviguer dans un monde saturé d’informations générées automatiquement. »
Les enseignants aussi s’approprient l’IA, mais avec prudence
L’IA n’est pas seulement un outil des élèves. Certains professeurs s’en servent pour alléger leur charge de travail, comme Sylvain qui estime qu’un corrigé de dissertation pourrait passer de 20 heures à une heure grâce à l’IA, s’il acceptait de l’utiliser — ce qu’il refuse, craignant une perte de qualité professionnelle.
François, plus jeune, l’intègre quotidiennement à sa préparation de cours, tout en veillant à garder un œil critique. Fanny suit une formation pour optimiser son usage futur, et Estelle a entrepris une auto-formation via la plateforme PIX pour se perfectionner.
Vers une école profondément transformée
L’arrivée massive de l’intelligence artificielle dans le monde scolaire est un bouleversement sans précédent, avec des promesses mais aussi des dangers. L’éducation doit trouver un nouvel équilibre pour intégrer ces outils tout en préservant la capacité des élèves à raisonner et à faire preuve d’esprit critique.
Comme le souligne Laurence Devillers, professeure en IA à l’université Paris-Sorbonne, interrogée sur ce sujet, l’outil peut impacter nos capacités cognitives : « On pourrait perdre quelques points de QI, mais on ne deviendra pas des légumes pour autant. »